Dans une décision du 12 mai 2023, le Tribunal Administratif (TA) de Strasbourg annule, sans accorder de possibilité de régularisation, l’autorisation préfectorale accordée au lancement des travaux du contournement de Châtenois. Le blocage immédiat du chantier suscite localement de vives – et compréhensibles – réactions, et du fait que le recours a été porté avec succès par l’association Alsace Nature, les amalgames ont été faits pour reprocher « aux écologistes » d’avoir arrêté les travaux.
Une décision de justice
Les travaux ont été interrompus suite à une décision de justice, rendue par les juges du Tribunal Administratif, suite à une longue (bien trop longue) analyse de la qualité juridique du recours déposé en 2019 par Alsace Nature. La Collectivité Européenne d’Alsace avait évidemment connaissance de ce recours, tout comme la Préfecture, et les collectivités concernées. Les travaux ont donc débuté en dépit de ce recours dont on ne pouvait pas connaître l’issue ; ils ont donc commencé et bien avancé alors que le risque de cette décision défavorable existait bel et bien.
Trop de décisions politiques sont engagées qui font fi des risques, qu’ils soient judiciaires, sanitaires ou environnementaux. La justice a rétabli le cadre légal de cette opération.
Pour aller plus loin, lire l’article détaillé de Thibaut VETTER (Rue89 Strasbourg) ; ou le communiqué de presse d’Alsace Nature.
Rappel de l’historique – Le projet et son évolution
Il s’agit de contourner le trafic d’environ 18000 véhicules par jour, qui transite par la partie nord de la commune de Châtenois. Le projet initial prévoyait la création d’une nouvelle route, de type autoroute à 2×2 voies de 5km, depuis l’autoroute A35 entre Sélestat et Châtenois jusqu’à l’entrée du Val d’Argent, après Châtenois, en se raccordant sur la RN59.
Le projet déclaré d’utilité publique en 2003 mais annulé par le Tribunal Administratif suite à un recours des viticulteurs.
En 2012, un second arrêté a été accordé pour un projet sensiblement identique : Recours gracieux d’Alsace Nature qui a permis des discussions avec l’Etat pour aboutir à un contournement en format réduit : 2×1 voie.
2016 : Confirmation par la ministre de l’écologie de la relance de l’option d’une déviation à 2×2 voies.
Le contournement est instruit au Contrat de Plan Etat-Région 2015-2020 pour un montant de 47M€ alors que la décision de la ministre évoque un coût à 60M€.
Le projet est justifié selon l’Etat, et largement soutenu par les élus locaux de tous bords, afin de :
- Soulager la commune de Châtenois d’un trafic important, occasionnant des bouchons les matins et soir sur l’actuelle RN59 ;
- Sécuriser un axe jugé d’importance interrégional entre Nancy et Freiburg, via le tunnel Maurice Lemaire à Ste-Marie-aux-Mines ;
- De résoudre la problématique de la traversée des camions par les cols vosgiens.
La position d’EELV Alsace
Compte tenu de ses enjeux, EÉLV-Alsace suit ce dossier depuis des années !
En 2011, la section alsacienne du parti écologiste a même rédigé une motion établissant clairement sa position favorable à une déviation à 2x 1 voie. Alors que le tribunal Administratif a été accusé de céder au « lobby écolo-bobo qui ne mesure pas ce que c’est que de se lever à 6h du matin pour aller gagner sa vie » (selon L. Adoneth, maire de Châtenois), Bertrand GAUDIN, secrétaire du groupe local EÉLV – Alsace centrale, a tenu à clarifier notre position dans un communiqué de presse, le 17 mai 2023.
Suite au jugement du tribunal administratif (annulant l’autorisation environnementale de réaliser la déviation de Châtenois), les réactions sont nombreuses, certaines virulentes. Cela nous amène à réagir, notamment pour rappeler la position d’EÉLV, car les écologistes ont été mis en cause dans certaines déclarations alors que nous ne sommes pas à l’origine du recours déposé et que nous ne sommes aucunement responsables de la décision du tribunal.
La position d’EÉLV Alsace est claire et inchangée depuis une motion adoptée en 2011. Pourtant, depuis cette date l’évolution rapide des enjeux liés à la préservation du climat, de la biodiversité et des ressources en eau aurait pu nous amener à revoir notre position, ce que nous n’avons pas fait.
Nous sommes en accord avec un projet limité à deux fois une voie limitant au maximum l’impact sur la biodiversité et l’environnement, avec – bien sûr – des mesures compensatoires à la hauteur des milieux naturels détruits. En parallèle une politique ambitieuse de développement des mobilités alternatives à la voiture individuelle et de l’aménagement du territoire doit être menée.
Contrairement à ce que nous avons pu lire dernièrement, nous sommes parfaitement conscients que l’importance du trafic traversant Châtenois constitue une nuisance pour les riverains et les usagers des deux vallées concernées. Sans cela nous nous serions opposés purement et simplement à tout projet de contournement.
Aujourd’hui, nous pensons que nous serons tous d’accord sur un point : le délai du tribunal administratif pour rendre sa décision a été bien trop long, intervenant alors que le chantier est déjà très avancé.
Même si on peut comprendre le mécontentement des promoteurs du projet, dans un Etat de droit les décisions d’un tribunal doivent être respectées. La justice doit être rendue sans subir de pression, en toute indépendance et impartialité.
Le jugement rendu, pour lequel la CEA a fait appel, nous interpelle. D’un côté, la CEA, par la voix de son président et des conseillers d’Alsace des cantons concernés par le projet, affirme que les mesures environnementales compensatoires sont exemplaires. De l’autre côté, le TA estime que la CEA et la préfecture « n’ont pas justifié que les fonctions des zones humides supprimées sont intégralement compensées par celles qui sont recréées ». Nous espérons que tout a été fait pour mettre en œuvre des mesures compensatoires suffisantes et que la CEA pourra les justifier auprès de la cour administrative d’appel de Nancy.
À ce jour la CEA ne reconnaît aucune responsabilité.
Toutes les pistes permettant de réduire l’impact sur l’environnement, évoquées durant l’élaboration du projet, ont-elles été suffisamment prises en compte ? Comme par exemple l’option d’un projet limitant strictement son emprise à 2 fois 1 voie.
La traversée des habitats naturels les plus sensibles par viaduc, il est vrai plus coûteuse, aurait réduit l’incidence sur les habitats naturels traversés.
Enfin, le tracé du contournement aurait-il pu être en partie déplacé afin d’impacter encore moins les zones humides, avec une compensation moins difficile à la clé.
La décision du TA aurait-elle été différente si ces pistes avaient été pleinement retenues ? On peut se poser la question.
Dernier point important, il faut rappeler que l’État, puis la CEA, ont engagé les travaux et les dépenses afférentes tout en sachant qu’un recours avait été déposé et que le risque d’une décision annulant l’autorisation environnementale n’était pas nul.
Comme nous l’avons dit, nous ne modifions pas notre avis sur le contournement de Châtenois. Nous considérons que ce projet n’a pas la même importance que le GCO dont l’impact concernait la Région, bien au-delà de l’agglomération strasbourgeoise.
Caroline Reys et moi-même n’étant pas directement impactés par le projet car habitant hors des vallées concernées nous sommes peu exprimés sur le sujet. Nous considérons que c’est d’abord aux habitants et élu·es de Châtenois, des vallées de Villé et du Val d’Argent de le faire.«