Un choc.
Mon élection au Conseil Régional Grand Est me permet de travailler sur des thématiques essentielles pour notre quotidien (transports, lycées, économie…) mais aussi pour notre qualité de vie (santé, culture, environnement…). Et puis, en marge des sessions de travail, j’ai vécu avec une vingtaine d’autres élu·e·s un moment exceptionnel lors de la commission transfrontalière du 4 avril. Dans une grande solennité et une émouvante sincérité, des acteurs ukrainiens nous ont fait part des réalités de leur pays en guerre. Ils étaient en direct depuis Kiev ; avec le décalage horaire, le retour en image nous a permis de vivre le coucher de soleil sur la ville assiégée. Alors que les personnalités politiques étaient dans le sous-sol du Parlement, les interprètes étaient chez elles, et au fur et à mesure de leur traduction impeccable, nous avons pu voir la lumière solaire balayer lentement les murs de leur logis avant de disparaître en laissant ces femmes dans une grisaille froide…et un courage brûlant.
Deux Ambassadeurs
Dédié pour l’action extérieure des Collectivités Territoriales, l’ambassadeur Jean-Paul Guihaumé ouvre la rencontre avec la volonté de faire toute la transparence sur l’argent public qui transite par le fonds dédié « FACECO » ; ces dons des collectivités territoriales sont fléchés et tracés, en cohérence avec les besoins exprimés par les autorités ukrainiennes.
Son intervention est suivi d’un point de situation de l’Ambassadeur d’Ukraine M. Boris TARASSIOUK qui affirme la force et l’engagement des Ukrainiens, qui ne défendent pas seulement leur pays, leurs vies, mais aussi l’Europe .
Nous représentons l’humanité contre le Mal absolu.
B. Tarassiouk, Ambassadeur d’Ukraine.
Témoignage de Ludmilla DEMISSOVA
En direct de la Ville de Kiev, Ludmilla Demissova , représentante du Parlement des Droits Humains d’Ukraine, s’adresse à nous sans encombrer ses propos de formules de convenance : parle de génocide, de déportation, d’extermination du peuple ukrainien. Chaque jour, la commission qu’elle préside actualise le nombre des enfants tués par les Russes. Aujourd’hui, on en est à 161 enfants morts et 264 enfants blessés : chiffres officiels pour lesquels des enquêtes sont diligentées, mais cela ne tient pas compte de toutes les villes attaquées. Elle affirme avec force que le Droit humanitaire à la Vie n’ est pas respecté. La Convention de Genève est bafouée par ces crimes, mais aussi par le recours à des armes non conventionnelles. Elle développe ses propos en décrivant les effets des mines « Médaillon » utilisées par la Russie : autoguidées, elles ciblent des personnes en déplacement et leur explosion a un rayon de destruction de 16 mètres.)
Ludmilla DEMISSOVVA enchaîne su le drame de l’accès impossible aux villes assiégées où les gens meurent faute d’approvisionnement en eau, nourriture, médicaments. L’ennemi a déporté 600 000 habitants de ces territoires occupés, dont 160 000 enfants.
Elle ne comprend pas vraiment pourquoi le Président de la Croix-Rouge internationale a créé un bureau à Rostov (Russie) : pour les Ukrainiens, cela n’a pas de sens dans la mesure où il n’est pas question de retour en Ukraine de ces populations, bloquées par les Russes .
Fuir les bombardements : 6 millions de déplacés internes et 4 millions d’Ukrainiens ont trouvé refuge en Europe, soit le quart des enfants d’Ukraine. Depuis le début de l’invasion, des notes sont préparées deux fois par jour et transmises à toutes les institutions internationales chargées des Droits Humains, dans le monde entier. Ils ont également lancé une ligne gratuite avec 32 opérateurs pour réceptionner plus de 1000 appels /jour de témoignages. Grâce à ces appels, l’aide peut être apportée, mais la majorité de ces appels concernent des personnes disparues, dont ils retrouvent souvent la trace.
Rappel que « les Ukrainiens combattent pour leur pays, mais aussi pour l’Europe« . C’est pour ça qu’ils insistent pour la mise en place d’un Tribunal International qui traite et sanctionne ces crimes de guerre et ces crimes contre l’Humanité. Appel à introduire les sanctions les plus dures possibles : si ça avait été le cas en 2013 et en 2014? On n’en serait peut-être pas là aujourd’hui. Au moment où elle insiste pour qu’on livre des armes (répété trois fois), l’interprète s’interrompt à cause du passage d’un avion accompagné d’une alarme. La liaison se coupe et un autre interprète prend immédiatement le relais. Elles ne semblent pas affectées par cet épisode qui personnellement me perturbe…
Il y a une semaine, Ludmilla Demissova était à Bruxelles, et elle devrait venir le 27 avril à Strasbourg pour témoigner. Elle tient à remercier la France pour l’accueil de 36 000 réfugiés, dont 27 000 sont déjà enregistrés.
Le Président du Parlement ukrainien en tenue militaire.
À son tour, le Président du Parlement Ukrainien M. Lubinez remercie la France. Il rappelle le choc 24 février alors que le peuple ukrainien a été réveillé par les bombardements. Il revient sur l’absence de discussions et de négociations depuis 2014. Cela a été interprété par Poutine comme une faiblesse et il s’est dit qu’il pouvait aller plus loin. C’est exactement ce qui s’est passé lors de la 2ème guerre mondiale : on a essayé de négocier avec Hitler, et on voit ce qui a suivi. Il nous fait part des témoignages scènes de désolation qui se sont déroulées à Marioupol :
- celui d’une mère qui doit enterrer seule et à la hâte son enfant dans un parc de la ville avant de rejoindre précipitamment un abri pour s’occuper de son autre enfant auquel elle n’a rien à donner à manger…
- celui d’une vingtaine de femmes qui servent dans l’armée ukrainienne, qui ont été capturées, par les Russes et à qui on a rasé les cheveux… il évoque aussi les tortures subies, sans donner de détail…
SI l’agresseur n’a pas d’obstacle, il ira plus loin, en commençant par les états baltes.
M. Lubinez, Président du Parlement ukrainien
Il cite une adolescente de 16 ans de Marioupol : « Vous connaissez ce que ça fait quand on voit que notre mère est morte devant vous, et que j’entends mon petit frère lui dire : Maman, ne dors pas, il fait trop froid, tu risques de mourir… Je lui ai dit de ne pas la réveiller, mais il a fini par comprendre, parce que maman et la voisine étaient dans le même état… Les corps sont entassés dans la cave, dans une odeur insoutenable, tout comme est insoutenable l’idée qu’on ne peut pas l’enterrer. La Russie veut nous détruire complètement, les gens et les villes. »
Marioupol a été bombardée pendant 15 jours ; le gouvernement a bien essayé d’évacuer les civils, dans des bus signalés avec une Croix Rouge, mais cela attirait l’attention des militaires, et c’est là qu’ils lançaient les bombes. À Marioupol il y a des bombardements tous les quarts d’heure. Au théâtre de Marioupol les assaillants savaient pertinemment qu’il n’abritait que des civils, des femmes et des enfants. « C’est pourquoi nous avons besoin d’armes, mais nous demandons surtout que l’espace aérien soit fermé. Ne plus acheter des produits en provenance de Russie contribue aussi à notre protection ».
La Sécurité Civile
Yves François présente le travail de la Sécurité Civile et ses 32 000 bénévoles en France. Cette mobilisations est la plus importante jamais organisée. Actuellement on recense 5 000 points de collecte. => 14 500 palettes de dons ont été conditionnées (8000 tonnes) , mais seulement 4 000 palettes (2 200 tonnes) ont été transférées en Ukraine. Actuellement 3 points d’entrée : 1 en Pologne (à destination de Kiev), 1 en Roumanie, (convoi ferroviaire) à destination du SO de l’Ukraine. 3ème point d’entrée en Slovaquie à destination de Lviv.
2 000 bénévoles sont engagés chaque jour. Une nouvelle base nationale a été aménagée à Rungis pour centraliser ces dons. une réflexion est en cours sur l’ouverture d’un camp de réfugiés dans un pays voisin, pas en Ukraine, faute d’ assurance. Devant les besoins immenses exprimés par les autorités ukrainiennes, la Sécurité Civile a conscience de ses limites pour répondre à ces besoins, mais elle poursuivra de façon volontaire son engagement. La stratégie doit évoluer : il faut se concentrer sur des aides plus massives (l’appel aux dons est actuellement suspendu de ce fait).
Dans le Grand Est, les 12 Maisons de Régions sont mobilisées pour collecter des dons et les acheminer vers le port autonome de Strasbourg. 416 palettes sont arrivées à Strasbourg en provenance de Châlons-en-Champagne et il en reste encore 200. À Strasbourg, la Région Grand Est, ne transporte pas des vivres, mais organise le transport des personnes vers les centres voisins pour qu’il y ait toujours de la place à Strasbourg (540 réfugiés transportés entre le 14 et le 24 mars.
La séance – qui a duré 2h30 – a été ponctuée d’applaudissement et d’une minute de silence en hommage à toutes les personnes engagées dans ce conflit. Comme en réponse à la question que j’avais posée, l’ambassadeur d’Ukraine a remis à Christian DEBEVE, Président de la Commission Relations internationales, un document contenant les coordonnées de toutes les personnes représentant officiellement le gouvernement ukrainien.